#4 - Code-switching : comment ça impacte l'entreprise !
Ou le test pour savoir si vous êtes bilingues ?
Surprenant ? Haha, certes. Mais si encore ce n’était que ça…
Le code-switching va bien au-delà du simple fait de pouvoir passer d’une langue à une autre quasi instantanément.
Et étant moi-même franco-marocaine, avec une maîtrise de l’anglais du type VO only et (presque) sans sous-titres, j’en sais quelque chose !
Mon défi du jour c’est de vous embarquer dans ce quotidien en moins de 10 min :
Code-switching : wtf is that ?
Universel mais propre aux minorités : un cadeau empoisonné
Comment ça impacte vos employés et vos équipes en entreprise
Et ça se passe dans cette nouvelle édition de la La Golden Hour ! ☀️
1. Code-switching : kesako ?
a. De la biculturalité au bilinguisme : d’où ça vient ?
Le code-switching a d'abord été étudié dans le cadre du bilinguisme. Mais avant d'en parler, revenons à ce qui a poussé les bilingues à pratiquer le code-switching : la biculturalité !
Quand j’étais petite, on me parlait en français à l’école, et en marocain à la maison. Y’a de quoi être perturbé !
Mais si cette configuration m’a poussé à apprendre le français qu’à travers le monde extérieur (les amis et l’école), je ne les remercierai jamais assez d’avoir conservé cette bulle traditionnelle à la maison, qui m’a permis, premièrement, de pouvoir nouer des liens avec mes grands-parents (qui parlaient aussi bien le français que les français ne parlent l’anglais, oups), et d’avoir très tôt développé des facilités pour apprendre une langue.
Je crois profondément que la richesse des langues réside dans leur capacité à exprimer des réalités avec le plus de nuances, de justesse, de simplicité et si possible, de beauté syntaxique. C’est là que je vous droppe mon amour pour l’arabe, une langue que je trouve particulièrement belle pour sa poésie naturelle et sa richesse lexicale. Par exemple, saviez-vous qu’il existe 100 mots en arabe pour définir chaque type d’amour qui existe en ce monde (familial, fraternel, amoureux, amical, …) ? Rien que ça !
Lorsque l'on a une double nationalité et que l'histoire de qui nous sommes proviens de deux (ou plusieurs) cultures, le besoin d’exprimer une réalité culturelle qui n’existe pas dans l’autre se fait très vite ressentir. Tout le challenge est là : retranscrire une réalité qui n’existe pas dans l’autre culture et donc qui ne peut pas se traduire !
On imagine mal un pote revenir d’un voyage aux US et dire qu'il a mangé les meilleurs “chiens chauds” de sa vie 😅
Dans mon cas, c'est cette langue, différente de celle du pays où je me trouvais, qui a permis à mes parents de me transmettre le savoir culturel de notre pays d'origine, le Maroc, avec toutes ses subtilités et sa réalité.
Et c’est de là que vient cette notion du code-switching, celle d’une personne maîtrisant non seulement deux langues mais aussi et surtout deux cultures…
b. Bien plus qu’une capacité à switcher de langue !
La définition première du Code-Switching (CS) remonte à 1954 par par Hans Vogt (les précurseurs Einar Haugen ou Uriel Weinreich s’étant limités à des études sur le bilinguisme).
Il est défini par la capacité à passer d’une langue à une autre instantanément lors d’une même conversation (pour traduire), et plus largement encore, la capacité à employer deux langues dans un même discours (aka notre bien redouté : le franglais !)
Ce n'est qu'au cours des années 1960 que le code-switching est devenu un domaine d'étude à part entière, grâce à John Gumperz. La définition s'est alors élargie pour inclure les choix plus ou moins conscients sur la langue à utiliser, l'intonation et l'accent à adopter, le vocabulaire approprié... En somme, la maîtrise complète d'une langue.
Mais le code-switching va bien au-delà de la simple capacité à alterner entre deux langues avec aisance !
C'est surtout lorsque la communauté noire-américaine s'est intéressée au sujet que le champ du code-switching a pris une ampleur bien plus grande, incluant non seulement la maîtrise de plusieurs langues, mais aussi de plusieurs codes culturels.
Il ne s'agit plus seulement de passer d'une langue à une autre instantanément, mais aussi de passer d'un ensemble de codes culturels à un autre, en une fraction de seconde.
Le code-switching représente aujourd’hui tous les (micro-)choix de changement que l’on fait pour s’adapter au groupe devant lequel on se trouve.
C'est la manière dont on choisit de se présenter aux autres en fonction du contexte.
2. Universel… mais propre aux minorités
Adapter son langage à l’auditoire que l’on a en face de nous : tout le monde le fait ! Et c’est même plutôt recommandé…
On ne va pas balancer un “yo les reufs” en arrivant en réunion, et dire “bonjour, merci à tous d’être présent aujourd’hui” en rejoignant nos potes dans un bar (ça va de soi).
Mais si certaines minorités se sont emparées du sujet au fil des ans, c’est bien parce qu’il y a une autre situation dans laquelle le CS se produit, et qui relève cette fois de l’ordre de la discrimination. Lorsqu’une minorité arrive dans un groupe, elle se voit souvent obligée d’effacer ses particularités au risque de se faire rejeter, stigmatiser, et ne pas être acceptée.
On peut donc distinguer 2 types de code-switching :
a. Le code-switching stratégique
Il est souvent dit “code-switching d’opportunité” mais je préfère cette terminologie. Parce que c’est le cas, c’est une pratique stratégique, délibérée et choisie.
Et si on retrouve ça un peu partout dans nos quotidiens à tous (la façon de s’adresser à ses parents, ses amis, la boulangère, au téléphone, par sms…), c’est aussi très présent dans le travail ! Un expert ne va pas utiliser de jargon avec un non expert pour simplifier la communication, un employé ne va pas être informel avec son collègue face au client (encore que ça, ça dépend de notre relation avec le client héhé), et j’en passe !
Sans s’en apercevoir c’est partout autour de nous, et lorsqu’il est stratégique, il ne pose pas de problème, bien au contraire.
C’est parce qu’il est, dans d’autres cas, injustement subi que des voix se sont élevées sur le sujet.
b. Le code-switching de contrainte
Adopter les habitudes, l’humour voir les traditions des autres.
Se forcer à se lisser les cheveux, à se raser la barbe, changer de nom, de tenue vestimentaire, pour avoir l’air plus intégré.
Parler un français particulièrement soutenu et cacher son accent pour avoir l’air intellectuellement supérieur ou juste “bon”.
Le code-switching de contrainte survient lorsque l’on tente éperdument de changer qui nous sommes pour contrer les clichés accolés à notre apparence, notre sexe ou notre pays d’origine, et ce, dans l’espoir de fit in.
C’est notamment le cas des femmes dans une société avant tout pensée par et pour les hommes (oui les choses changent, mais force est de constater que bien souvent, pour qu’une femme soit acceptée et reconnue dans un univers “masculin” tel que le foot ou la finance, elle doit encore mettre de côté sa féminité).
Et c’est aussi le cas des minorités culturelles notamment dans les pays occidentaux : bonjour les générations héritières de l’immigration !
(héritières et pas issues, j’insiste, ce n’est pas une honte mais une richesse… mais c’est un autre sujet).
“De l’accent arabe à l’étiquette “incapable” de s’adapter à nos valeurs” il n’y a qu’un pas” - Témoignage tiré de cet article publié sur Welcome to the Jungle qui traite du code-switching au travail.
c. Un cadeau empoisonné
On pourrait considérer que le code switching de contrainte est une forme d’adaptation sociale comme une autre. Plus encore, on peut considérer que c’est un cadeau d’être né dans un contexte où l’on a appris à “code-switcher” dès le plus jeune âge, puisque ça nous donne la capacité de le faire d’autant plus rapidement et facilement dans d’autres contextes où c’est nécessaire ou profitable.
Dans mon entourage familial, amical, en colocation ou au travail, j’ai très souvent joué le rôle d’intermédiaire, “d’adoucissant” comme j’aime le dire. Parce que j’ai appris à noter les nuances dans une conversation qui relèvent de notions culturelles et non de la personnalité, les comportements qui perpétuent des clichés ou qui permettent de le briser.
A court terme, c’est une capacité qui sert des intérêts que l’on peut admettre (fluidifier la communication, ne pas brusquer, s’intégrer…), mais à long-terme, ça perpétue l’idée qu’être soi-même ce n’est pas suffisant, que ce soit être une femme, avoir des origines venant d’un pays controversé, ou même être gay. Pire encore, ça soutient l’idée que les personnes qui n’ont pas appris à “s’adapter”, qui ont décidé de ne pas cacher leur accent ou leur singularité, doivent être à juste titre rejetées.
Chercher à effacer les signes distinctifs qui font notre richesse ça revient à s’effacer soi. Et le risque ici, c’est de s’y perdre. De tellement jongler avec son identité qu’on ne sait plus qui on est.
Je parle moi-même souvent de mon rapport à la double-nationalité à la fois comme ma plus grande force et ma plus grande faiblesse. Comme une richesse unique et un frein dans ma capacité à définir mon identité (j’en parle d’ailleurs en poésie dans ce réel, celui-là et lui aussi ).
La question qui se pose derrière est : comment préserver une identité que l'on tente simultanément d'étouffer?
3. Comment ça impacte les employés et les équipes au travail ?
Une étude réalisée auprès de 1 144 employé.es américain.es de différentes cultures et orientations a démontré que les personnes qui utilisent le code-switching sont plus susceptibles d’être promues que celles qui ne le font pas.
Ça pose une question forte…
a. Doit-on réprimer notre identité pour réussir professionnellement ?
L’adoption de certains codes au travail me semble nécessaire. Une entreprise qui a des employés engagés est une entreprise qui réussit à embarquer ses équipes par des valeurs, une passion ou une vision. Des codes propres à l’entreprise.
Mais malgré les discours pour promouvoir l’authenticité et la diversité des profils au sein des entreprises, ces codes restent généralement biaisés d’une manière discriminante envers des minorités non reconnues.
Comprendre comment le besoin - pas seulement le désir - de s'intégrer au travail affecte vos employés à l’identité plurielle nécessite un niveau élevé d'humilité culturelle. Comprendre que c'est un niveau supplémentaire de travail et de conscience qu'ils doivent avoir chaque jour, qui peut être vu comme un fardeau et qui utilise une énergie qu’ils pourraient plutôt mettre à profit dans leur mission.
Ne pas lever les barrières qui les empêchent de se montrer entièrement au travail, c’est pas uniquement prendre le risque de se retrouver avec des employés moins impliqués, moins efficaces ou moins communicants, mais aussi de passer à côté de potentiels talents !
b. Le bénéfice d’avoir des code-switcher et de leur laisser de la place
Le premier point me semble évident : améliorer la communication ! Les code-switcher ont cette sensibilité accrue aux nuances culturelles, linguistiques voire sociales qui leur permet d’avoir des réflexes d’adaptation de communication à l’interlocuteur auquel ils s’adressent. Que ce soit en interne ou en externe, qu’ils soit bi-nationaux, transclasses (personnes ayant prit un ascenseur social) ou autre, ils sont un atout précieux dans un environnement de travail, qui plus est lorsque celui-ci est diversifié.
Lors d’une réunion classique dans un précédent travail, j’ai spontanément et discrètement ajouté un complément d’information en arabe à ce que mon manager partageait, parce que j’avais remarqué que la nouvelle recrue de l’équipe, marocaine, n’avait pas compris la nuance qui se cachait. Et j’avais vu juste ! Elle a fini par me demander de prendre un café pour pouvoir me poser un certain nombre de questions qu’elle n’osait pas directement poser au manager (syndrome de la bonne élève ?), et sur lesquelles j’avais la capacité de répondre, qui plus avec les nuances que j’étais capable d’apporter sur son prisme et celui de nos collègues. Et de ce que je sais, jusqu’à ce jour elle est toujours aussi bien intégrée !
When people are comfortable in their diversity, that’s when we really see strides happen - Zee Cohen-Sanchez dans cet article
Si vous souhaitez aller plus loin, cet article parle de la nuance entre Professionnalisme et Code-Switching.
Conclusion
Le code-switching est bien plus qu'un simple changement d’une langue à une autre : c'est un “super-pouvoir” linguistique et culturel qui, s'il est bien utilisé, peut enrichir nos interactions professionnelles et personnelles pour une meilleure communication et une plus grande connexion entre les individus.
Et si vous n’avez pas réussi à lire le visuel du début sans faire de pause ou sans fournir un effort particulier de concentration, pas de panique ! Vous n’avez pas besoin d’être des hybrides linguistiques pour avoir un super-pouvoir. A titre personnel, j’ai toujours admiré les personnes qui connaissaient le deuxième couplet de la marseillaise, ou qui savent placer n’importe quelle expression française, même les plus vieilles.
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