La non-mixité féminine : un moyen de libération ou d'exclusion ?
Face à la "mixité"... la non-mixité !
Dernièrement je discutais avec des ami.e.s. Un dimanche matin comme on les aime : réunis dans une chambre, à papoter. Mes ami.e.s sont parapentistes et discutaient de leurs derniers vols. Très vite, la conversation glisse sur les stages 100 % féminins. Est-ce vraiment utile ? Est-ce que ce n’est pas excluant ? Est-ce que ça ne dessert pas les femmes ?
Je suis encore dans les vapes, alors je me contente de les écouter en versant le café, jusqu’à ce que, comme souvent, les regards se tournent vers moi : “Mais attends, c’est pile ton sujet ça ! T’en penses quoi ?”
Ma réponse : “Je ne suis pas aussi catégorique que vous ! Je suis ni pour, ni contre. Enfin… en fait si. Je suis carrément pour. Et aussi carrément pour la mixité.”
Le parapente est un sport très masculin (15 % de femmes à peine), et comme souvent dans les sports à risque, la gestion du danger compte autant que la technique. Or le rapport au risque est genré. Oser s’y mettre, poser des questions, se lancer… tout ça est plus difficile quand on sent qu’on n’a pas toute sa place.
Dans un stage 100 % féminin, ce poids social disparaît un peu : on peut poser ses questions, accueillir ses peurs, se concentrer sur l’apprentissage. La parole circule mieux, la confiance s’installe plus vite. Et par extension, c’est un tremplin pour faire face aux environnements mixtes — ou ici, masculinisés — en étant un peu plus armée, un peu moins seule.
Mais au fond, cette question touche à beaucoup plus que le parapente. Elle vient requestionner l’idée que l’on se fait de la non-mixité, de son utilisation, de ses objectifs, et son impact réel sur la mixité.
Encore faut-il s’accorder sur ce que signifie réellement “mixité”…

Le concept de mixité
On parle beaucoup de “mixité”. Mais au fond, de quoi parle-t-on vraiment ?
Souvent, il suffit qu’il y ait une femme dans la pièce pour qu’on coche la case. Mais la simple présence d’une femme ne garantit rien. Est-ce qu’elles prennent la parole ? Est-ce qu’elles sont écoutées ? Est-ce qu’elles ont un vrai pouvoir de décision ? …
En réalité, ce qu’on appelle mixité aujourd’hui, c’est souvent une “autorisation” d’être là. C’est une mixité de façade, fondée sur l’idée que “personne n’est interdit”, donc tout le monde peut participer. Mais cette permission est fragile et surtout, elle n’implique pas de repenser les règles du jeu. Elle suppose qu’on part tous du même point, avec les mêmes chances, la même légitimité, la même sécurité à s’exprimer. Et ça, eh bien…, c’est faux.
Alors oui, la mixité est un idéal. Mais pour y arriver, il faut créer les conditions pour qu’elle soit réelle. Et ça demande plus qu’ouvrir les portes : ça demande de redistribuer l’espace, la parole, la place.
Dans les faits, ce qu’on présente comme mixte est souvent un entre-soi… masculin.
Et ce n’est pas une provocation de le dire. C’est une réalité sociologique : la plupart des sphères de pouvoir, de décision, d’expression, sont dominé·es par des hommes. La non-mixité existe déjà, mais elle est invisible, intégrée, normalisée.
Non-mixité subie : l’entre-soi qui ne dit pas son nom
On entend souvent parler de la non-mixité féministe, mais on oublie de parler de la non-mixité déjà là, celle qui ne s’annonce pas mais s’impose : celle des dominants.
L’écrivaine Irène Kaufer parle de “non-mixité entre dominants” : ces espaces où les hommes – souvent blancs, cis, hétéros – prennent toute la place sans avoir à l’arracher. Les fameux boys clubs, parfois très littéraux, parfois beaucoup plus diffus : les apéros entre collègues, les discussions stratégiques à la machine à café, …
Rien d’interdit officiellement aux femmes… mais tout leur fait comprendre qu’elles ne sont pas les bienvenues. Ou qu’elles devront redoubler d’efforts pour être prises au sérieux.
Et ces clubs, aussi “informels” soient-ils, produisent du pouvoir : on s’y co-opte, on s’y recommande, on s’y serre les coudes. Tout ça entre gens qui se ressemblent.
C’est cette non-mixité-là, subie, invisible, mais ultra efficace, qui verrouille l’accès aux postes à responsabilité, aux réseaux, à la confiance mutuelle.
Le monde fonctionne déjà sur une non-mixité, mais elle ne dit pas son nom.
Non-mixité choisie : une bulle pour respirer, et s’armer !
En miroir, il y a une autre forme de non-mixité : celle qu’on choisit.
C’est celle des dominé·e·s qui créent des espaces où ils et elles peuvent respirer. Pas pour exclure, mais pour se protéger, se renforcer, s’organiser.
Historiquement, la non-mixité féministe a émergé comme une nécessité. Christine Delphy, grande figure du féminisme français, résume ça très bien :
La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l’autoémancipation. L’autoémancipation, c’est la lutte par les opprimés pour les opprimés.
Se retrouver entre femmes ce n’est pas “se couper du monde”, c’est accéder à des safe places : là où la parole peut se libérer sans devoir s’expliquer ou se défendre. Et surtout, ce sont des lieux d’émancipation collective. On ne s’y enferme pas, on s’y équipe.
Ces espaces ponctuels ne se retrouvent pas que dans les réunions d’assos féministes :
👉 À l’école, les jeunes filles vont davantage lever la main, poser des questions, lorsqu’il n’y a pas de garçons
👉 En entreprise, les clubs de femmes permettent de libérer la parole et de profiter du collectif pour oser faire remonter des pratiques et comportements sexistes
Il faut aussi voir la non-mixité féminine comme un lieu de construction, un levier d’empowerment, une zone de renforcement pour mieux faire face à la réalité. Car oui, pour affronter une société construite sur l’entre-soi des dominants, il faut parfois d’abord passer par un entre-soi des dominé·e·s.
Christine Delphy précise toutefois que la non-mixité n'est qu'une étape dans la lutte contre les discriminations : « C'est seulement ainsi que les moments mixtes de la lutte — car il y en a et il faut qu'il y en ait - ne seront pas susceptibles de déraper vers une reconduction douce de la domination. »
Grosso modo : ce n’est pas l’idéal à termes, mais c’est nécessaire si on veut que les choses changent.
Dernières notes
Je suis convaincue qu’on ne peut pas faire l’impasse sur la mixité. Mais je suis aussi convaincue qu’on n’a pas à y aller à poil, désarmée.
Attention à ne pas idéaliser la non-mixité non plus. Ces espaces-là, aussi nécessaires soient-ils, ne sont pas magiques. Ils ne gomment pas tout.
Être entre femmes, ce n’est pas forcément être toutes pareilles. Certaines seront plus à l’aise que d’autres, certaines prendront plus de place, consciemment ou non. Parce qu’on ne vient jamais "juste en tant que femme", mais aussi avec son vécu, son parcours, ses privilèges ou discriminations : être blanche ou racisée, valide ou en situation de handicap, hétéro ou queer, cis ou trans… tout ça compte.
C’est là que l’intersectionnalité devient un outil précieux. Pour ne pas invisibiliser certaines voix. Et peut-être, parfois, aller vers des cercles encore plus spécifiques. Parce qu’un espace de sécurité, ça se construit, et ce n’est jamais acquis.
Et puis, soyons clairs : la non-mixité n’est pas un concept féministe en soi. C’est un outil. Et comme tout outil, tout dépend de qui l’utilise, et pourquoi.
On voit bien que certains groupes masculinistes, ou même des cercles de femmes d’extrême droite, s’en emparent aussi — non pas pour s’émanciper d’un système d’oppression, mais pour s’enfermer dans des logiques identitaires, excluantes, parfois violentes. Là, on est loin de la libération. Et très loin du féminisme.
Et si ici je vous parle surtout de genre, cette réflexion vaut évidemment pour la diversité au global : éthnicité, religion, orientation sexuelle, langue, handicap…
Côté coulisses…
Cette newsletter m’a été inspiré par mes conversations, recherches et par la découverte en cours d’écriture de cette édition de cette étude si vous souhaitez en lire davantage.
Je suis rentrée de vacances ce lundi, bronzée (beaucoup), reposée (un peu) : une épopée andalouse pleine de péripéties entre arnaque Airbnb et panne d’électricité, de très bonnes anecdotes mais qu’on est bien contents de laisser derrière soi 😅.
Et à peine rentrée, je replonge dans les projets !
Certains avancent doucement dans l’ombre… mais je peux commencer à vous glisser un mot de celui qui m’occupe beaucoup en ce moment. Ce fameux “projet secret” dont je parle par petites touches : c’est un documentaire. Sur les questions d’égalité femmes-hommes au travail. On est en plein dans les phases de discussions avec des partenaires, gros taf. Je vous en reparle très vite.
Autre projet qui me met en joie : La Grande soirée des créateurs. Avec Eliott, ça fait un an qu’on organise des verres informels entre créateurs et créatrices de contenu. Et la semaine prochaine, on passe à la vitesse supérieure : un véritable événement, en partenariat avec Paatch.
Ça se passe le 14 mai à 19h au Digital Village. Si vous voulez venir trinquer avec nous, c’est par ici !
Et puis, en fond, il y a une envie de renouveau ! Je termine quelques missions, et je suis de nouveau ouverte à de nouvelles aventures. Toujours autour des sujets RH, de transformation du travail, avec un coup de cœur particulier pour ceux qui touchent à l’égalité femmes-hommes et à la diversité/inclusion. Si vous avez besoin d’un coup de main sur de la stratégie édito, de la gestion de projet D&I ou des formats à impact : faites-moi signe !
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